UNIVERSITÉ DE SFAX

École Supérieure de Commerce

 

Année Universitaire 2003 / 2004

 

Auditoire : Troisième Année

Études Supérieures Commerciales & Sciences Comptables

 

DÉCISIONS FINANCIÈRES

 

Note de cours N° 5

 

Première Partie : La décision d’investissement

 

Chapitre 4 : Choix des investissements et flexibilité

 

Enseignant :  Walid KHOUFI

 

1. Introduction

L’analyse classique de la décision d’investissement privilégie les variables rendement et risque. La méthode la plus couramment utilisée pour sélectionner le ou les projets d’investissement à entreprendre est celle de la valeur actuelle nette, représentant l’accroissement net de richesse créée par le projet.

L’analyse menée jusqu’ici ignore la possibilité de prise de nouvelles mesures par les dirigeants dans l’avenir. Elle suppose de façon implicite que lorsque un projet est entrepris, ses principales caractéristiques ne peuvent plus être changées. En outre, cette analyse ne tient pas compte des caractéristiques qualitatives, non quantifiables, bien qu’elles jouent un rôle prépondérant dans le choix des investissements. Pour ces raisons, cette analyse qualifiée de statique et réductrice, a été largement critiquée par les financiers.

En réalité, une évaluation correcte et complète d’un projet d’investissement devrait chercher à prendre en considération l’éventail des choix de gestion. En effet, comme le font, judicieusement, remarquer R.A. Brealey et S.C. Myers un projet n’est pas «une boite noire et tout dirigeant compétant modifiera le déroulement de son projet à mesure que le temps passe et que de l’information nouvelle apparaît».

Dans ces circonstances, l’investisseur bénéficie d’une certaine flexibilité dans la gestion de son projet d’investissement en fonction de ses perspectives de rentabilité. Ainsi, il est possible de remarquer que l’investisseur qui bénéficie du droit de modifier ou non le déroulement de son investissement détient une option.

L’analyse de la décision d’investissement, compte tenu des caractéristiques qualitatives du projet, comme sa flexibilité, est possible étant donné que cette flexibilité peut fréquemment s’exprimer en terme d’option.

 

2. La notion de flexibilité

La notion de flexibilité a été abordée à plusieurs reprises dans le cadre de travaux proches de la théorie de la firme ou des théories de la décision. C’est à Ansoff, dans les années 1970, que l’on doit la formalisation de la flexibilité dans le champ de la gestion. Selon le dictionnaire Robert, être flexible, c’est être élastique, souple, modelable, s’accommoder facilement aux circonstances.

Pour définir la flexibilité dans le champ de la gestion R. Reix se base sur l’idée d’interdépendance temporelle des décisions.

Il dégager ainsi deux aspects distincts mais complémentaires de l’idée de flexibilité :

  • L’une relative à la variété potentielle de commande : une décision est d’autant plus flexible qu’elle laisse davantage ouvert le champ des décisions futures satisfaisant  un certain critère de résultat.

  • L’autre relative à la flexibilité d’un état : un état présente un degré de flexibilité d’autant plus grand qu’il est plus facile de le rapprocher d’un autre état représentant un point d’une trajectoire optimale

Etant donnée l’évolution actuelle du contexte économique dans lequel opèrent les entreprises, l’adoption de l’organisation flexible s’affirme de plus en plus comme une nécessité impérieuse. La flexibilité apparaît ainsi comme une capacité d’accommodation réversible. Cette notion reflète l’aptitude à rester opérationnel dans des situations changeantes.

Pour résumer nous définissons enfin la flexibilité d’une entreprise comme son aptitude à s’adapter sans délai à des modifications imprévisibles de son environnement. Nous retiendrons ainsi que la flexibilité accroît la capacité de la firme à réagir aux incertitudes de son environnement.

 

3. Valorisation de la flexibilité par la théorie des options

3.1. Généralité sur la théorie des options

Dans le langage de tous les jours, nous utilisons souvent le terme option pour désigner un choix ou une solution de rechange. En finance une option désigne la possibilité de négocier dans le futur à des conditions déterminées aujourd’hui. En d’autre terme la valeur d’une option correspond à un prix qu’un agent est prêt à payer pour maintenir ouverte une possibilité pour les périodes à venir. Une option est donc un contrat entre deux parties : l’acheteur de l’option et le vendeur. On distingue ainsi entre l’option d’achat et l’option de vente. Une option d’achat (de vente) est un actif contingent qui donne le droit à son porteur d’acheter (de vendre) un bien donné appelé actif sous–jacent à un certain prix appelé le prix d’exercice, pendant une période de temps fixé appelée l’échéance. A ce niveau une précision s’impose. Il ne faut pas confondre l’option avec son actif support ou avec son prix d’exercice. Par exemple une option d’achat sur la BIAT donne le droit à son acheteur d’acquérir le titre BIAT pendant une certaine période à un prix fixé aujourd’hui.

La période pendant laquelle l’achat est possible est la période d’échéance et le prix auquel l’achat de l’actif support s’effectue dans l’avenir est le prix d’exercice. Le prix d’exercice et la période d’échéance sont fixés par les autorités du marché au moment  de l’émission du contrat d’options. Le droit d’acheter (de vendre) l’actif support ne vaut plus rien après la date d’échéance fixée dans le contrat d’options. Le prix d’exercice demeure fixe au-cours de l’échéance de l’option.

Enfin, on distingue les options à l’européenne qu’on ne peut exercer qu’à l’échéance et les options à l’américaine qu’on peut exercer à tout moment jusqu’à l’échéance.  

3.2. Analogie entre les opportunités d’investissement et les options :

Le champ d’application de la théorie des options ne saurait se limiter aux seuls actifs financiers réservés aux seuls spécialistes de placement. Des recherches récentes tendent au contraire à montrer que ce dernier garde des perspectives ouvertes et qu’il est susceptible de s’étendre à bien d’autres actifs tels que les actifs réels et à résoudre  ainsi des problèmes complexes comme l’évaluation de la flexibilité des investissements. A la différence d’une option financière dont l’actif sous-jacent est un actif financier, l’option réelle est générée par les caractéristiques d’un projet d’investissement. L’option réelle permet à son détenteur de décider d’une action ou de ne pas le faire pendant une période déterminée et à un prix d’exercice.

Une analogie peut donc s’établir entre les options d’achat d’actifs financiers, par exemple les actions, et les opportunités d’investissement qu’on a désigné par option réelle.

Analogie entre l’opportunité d’investissement

 et l’option d’achat d’action

 

Option d’Achat ( action )

Option  Réelle (opportunité d’Inv)

1- La valeur de l’actif sous- jacent : valeur de l’action

La valeur actuelle des cash-flows futurs

2- Le prix d’exercice

Le coût d’investissement

3- La date de l’échéance

La date de l’extinction de l’opportunité d’Investissement

4- Prime = l’incertitude sur le prix de l’actif sous-jacent.

L’incertitude sur la valeur du projet  (cash-flows futurs)

5- Le taux d’intérêt sans risque

Le taux d’intérêt sans risque

 

En se basant sur cette analogie, on peut noter que le détenteur d’une option réelle relative à une opportunité d’investissement dispose du droit d’obtenir la valeur actualisée des cash-flows espérés, en effectuant une dépense d’investissement initiale lorsque cette dernière lui est profitable.

Ainsi le critère de la VAN devra être prolongé pour prendre en compte une prime correspondante à la valeur de chaque opportunité d’investissement. Cette prime s’identifie à une option réelle. Dans ce nouveau contexte d’analyse la valeur actuelle nette compte tenu de la flexibilité sera appelée VAN augmentée et s’écrit :

 

Les options réelles relatives à des projets d’investissement peuvent être classées en deux groupes :

  • Le premier comporte les options réelles dites stratégiques telles que l’option de retarder un projet, l’option de croissance et l’option d’abandon etc.

  • Le deuxième regroupe les options réelles dites d’exploitation à titre d’exemple, on peut citer l’option d’arrêt temporaire, l’option de modifier les inputs et l’option de modifier les outputs etc.

3.3 Quelques exemple de valorisation de la flexibilité dans

    le choix des investissements :

Certaines entreprises bénéficient d’une flexibilité dans la décision d’investissement par exemple, investir maintenant ou plus tard. Un projet peut être différé dans le but d’acquérir plus d’information concernant sa rentabilité. Par exemple, si l’état de la nature à un moment donné est très défavorable, il faudrait peut être évité de se lancer dans une mauvaise opération.

Le fait de pouvoir différer à donc une valeur mais présente le désavantage de ne pas faire bénéficier l’entreprise des flux de trésorerie que cet investissement était censé génère.

Il existe donc une analogie entre la valeur de la flexibilité que détient l’entreprise qui peut différer l’investissement et la valeur d’une option d’achat américaine.

L’investissement étant irréversible, la valeur du projet peut être considérée comme l’actif sous-jacent de l’option d’achat et le coût de l’investissement comme le prix d’exercice. Le fait de pouvoir différer l’investissement donne le droit de procéder à l’investissement (le prix d’exercice) et recevoir le projet (l’actif sous-jacent).

D’autres entreprises peuvent être confrontées au choix de deux usines à capacités de production différentes. Celle offrant la possibilité d’accroître la production au delà de l’autre aura un coût plus élevé mais présente un avantage comparatif, si la conjoncture est favorable. La théorie des options nous permet là encore de résoudre le problème, le projet offrant la grande capacité peut être vu comme étant égale au projet de capacité moindre auquel on ajoute une option d’accroître la production de la différence des capacités. On en déduit que le projet à grande capacité ne doit être retenu que si son coût supplémentaire n’excède pas la valeur de l’option d’expansion.

3.3 Evaluation des options réelles :

Plusieurs modèles ont été développés pour déterminer la valeur de l’option. Il s’agit notamment du modèle de Black et Scholes et du modèle de Cox, Ross et Rubinstein.

3.3.1. Le modèle binomial

Cette méthode proposée par J. Cox, S. Ross et M. Rubinstein (1979) a l’avantage de mettre en œuvre des calculs simples et l’inconvénient de ne pas fournir une formule précise d’évaluation. La technique permet de simuler les différents prix de l’actif sous-jacent par une suite de variations binomiales. A tout moment, il n’y a que deux états possibles, soit un mouvement de baisse, soit un mouvement de hausse. La baisse est mesurée par un paramètre d alors que la hausse est mesurée par un paramètre u.

Etant donnée qu’à l’échéance on peut déterminer la valeur d’une option, par exemple pour un call, elle est soit égale à la différence entre le cours et le prix d’exercice, soit égale à zéro, la détermination de la valeur présente est possible. En effet, en suivant la méthode binomiale, on détermine d’abord les valeurs finales et puis en remontant le temps on détermine les valeurs de la période précédente et ainsi de suite jusqu’à la détermination de la valeur présente.

3.3.2. Le modèle de Black et Scholes

Dans un article de 1972 F. Black et M. Scholes ont proposé un modèle d’évaluation pour les options européennes, le modèle développé suppose que le temps s’écoule d’une manière continue, c'est-à-dire que l’intervalle entre deux transactions successives est infiniment petit. Et comme il est difficile d’anticiper toutes les options susceptibles d’être exercées on procède globalement en utilisant la formule suivante :

 
 

avec :

C = valeur du call

S = valeur de l’action sous-jacente

X = prix d’exercice de l’option

t = temps jusqu’à l’échéance, exprimé en portion d’année

rf = taux sans risque (en continu et par an)

En ce qui concerne les indicateurs d1 et d2, ils se calculent comme suit :

 
 
 

N(d) est la probabilité qu’une variable normale centrée réduite x ait une valeur inférieure ou égale à d. C’est donc la fonction de répartition d’une variable x qui suit une loi normale centrée réduite.

Cependant la valeur d’un put peut être exprimée par la formule suivante :

 
 

4. Application :

Soit un investissement de 5000 dinars ayant une durée de vie de 10 ans. Cet investissement peut être entrepris à la date « 0 » ou à la date « 1 » le marché n’étant pas encore stable et les dirigeants se demandent s’ils ont intérêt ou non à attendre un an. En effet, à partir de l’année une les flux de trésorerie s’établiront à 1500 dinars avec une probabilité de 0,6 et à 750 dinars avec une probabilité de 0,4.

Attendre un an permet d’avoir une meilleur connaissance des flux de trésorier. Le taux d’actualisation est de 13%.

1/ Calculez la VAN de cet investissement s’il est entrepris à la date « 0 » ?

2/ Si l’on fait l’hypothèse que l’entreprise n’investie à la date « 1 » qu’à condition que les flux de trésorerie prennent la valeur la plus élevée, quel serait à la date « 0 », la valeur actuelle nette de l’investissement entrepris à la date « 1 » ?

3/ Montrez que l’entreprise dispose d’une option et comparez la à une option financière, déterminez la valeur de l’option d’investissement ?